Cela faisait un moment que je fréquentais l’Institut Xavier, en espérant que j’y resterais le plus longtemps qu’il me l’était permis, ne souhaitant absolument pas retrouver un semblant de vie au sein des humains. Je savais parfaitement que le but de Charles Xavier était de chercher à ce que l’on puisse contrôler nos pouvoirs fraîchement dévoilés, mais aussi à ce que nous arrivions à faire la paix et à pardonner l’ignorance que faisaient preuve les homo-sapiens. Pour ma part, au moins, je ne leur en voulais plus, mais je n’étais pas prête pour aller me fondre dans la masse humaine.
Il y avait souvent de nouvelles venues, des mutants tous aussi apeurés par ce qu’ils sont devenus, perdus et pour la plupart rejetés de la société. Je sais parfaitement ce qu’ils ressentaient, non pas en référence à mon empathie, mais au fait que j’ai été à leur place un jour. Et en un sens, c’était marrant, j’avais l’impression que ça me remontait à bien des années, pourtant… Je ne m’approchais pas de grand-monde, non pas que j’étais insociable mais par habitude, celle que j’avais prise lorsque je « vivais » encore au sein des humains. Mais je leur souhaitais qu’ils se reprennent bien en main en arrivant ici.
Les couloirs étaient bondés, mais je savais parfaitement que d’ici dix minutes maximum ils allaient redevenir aussi déserts et calmes. Chaque étudiant gagnait la salle où ses cours avaient lieu à cette heure, faisant ainsi élever un brouhaha au sein de l’Institut. Les élèves discutaient et se dépêchaient de rejoindre leur lieu de travail ; je faisais partie de cette foule mais je restais silencieuse, le pas hâté, sachant que si je ne me dépêchais pas plus, j’allais finir par arriver en retard. Ouvrant la porte en grand, le petit monde venait de tout juste s’installer. Je restais plusieurs secondes à les considérer alors qu’ils tournèrent leur regard vers ma petite personne, puis m’attelait à une place au fond de la salle.
Durant mon enfance, on ne peut pas dire que j’avais eu une très bonne scolarité. En effet, à vagabonder de famille en famille, la vie n’avait jamais été évidente pour moi. Mais cette fois-ci, je trouvais une certaine stabilité, et au fond, les cours pouvaient être assez barbants si l’on ne s’y intéressait pas un minimum. Et j’étais une personne très rêveuse, décrochant donc très rapidement lorsqu’on me parlait, ainsi parfois il m’arrivait d’être assez perdue en cours et de ne pas écouter ce que le prof expliquait. Pourtant, il y fut un temps où je pouvais m’avérer très attentive.
Soufflant, remarquant que je m’égarais encore, j’essayais de me reprendre en main, et relevais la tête vers le professeur qui commença à écrire quelque chose au tableau. Je laissais ensuite mon regard se balader à travers la pièce, remarquant deux garçons derrière moi qui pouffaient de rire tous seuls, une autre qui en profitait que l’enseignant eut le dos tourné pour se retoucher dans un petit miroir. Un autre élève regardait par la fenêtre et semblait exercer ses pouvoirs sur la verdure de l’extérieur. Et une dernière, dont l’esprit semblait assez embrouillé et les sentiments forts, qui attirèrent mon attention. Fronçant les sourcils, je tentais de lire à travers les multiples ressentis qu’elle éprouvait, mais je ressentis immédiatement une immense douleur à la poitrine, portant ma main à celle-ci et grimaçant. La douleur disparut immédiatement dès que je décrochai mon attention de la blonde.
Qu'est-ce que j'avais fait au monde ? Pourquoi elle et pas moi ? C'était insupportable toute cette souffrance. Ma meilleure amie avait quitté ce monde à cause de moi, de ce que j'étais. Et j'étais terrifiée. Je me demandais quelle raison me poussait encore à me lever le matin. Où je trouvais encore la force de me battre pour ma vie alors que j'avais voulu y mettre un terme. J'aurais voulu en finir, ne pas me réveiller dans cette chambre d'hôpital. Je voulais tout simplement partir. Quitter cette terre et ne jamais y revenir. Était-ce trop demandé ? Non, je n'étais pas parfaite. J'étais cet horrible monstre que l'on fuyait. Et ils avaient tous raison. J'étais dangereuse, hors de contrôle. Est-ce que quelqu'un voulait punir mon père de tout ce qu'il avait fait ? Mais pourquoi moi ? Pourquoi viser sa fille ? Je n'avais rien demandé. Elle n'avait rien demandé.
Je ne sais plus exactement combien de temps j'étais restée à l'hôpital. Ni même combien de temps j'étais arrivée dans cette école. Je m'étais perdue. Perdant par la même occasion la notion du temps. Je n'étais qu'une pauvre fille qui avait perdu toute sa confiance en elle, toute sa joie de vivre. Je n'étais plus rien à part brisée en mille morceaux. Je n'arrivais pas à me reconstruire, à donner de nouveau mon amitié aux autres. Je me laissais tomber sans personne pour me rattraper. J'étais détruite de l'intérieur.
Le monstre qui sommeillait en moi, je l'avais inventé. Je le voyais sortir lorsque je prenais un stylo dans mes mains, que j'essayais de prendre contact avec mes parents en leur envoyant un sms. J'évitais mon portable et mon ordinateur qu'ils avaient glissé dans mon sac. J'évitais toutes ses choses qui risquaient de me briser encore un peu plus chaque jour. Je ne me sentais plus à ma place, que se soit parmi les mutants ou parmi les humains. Je ne me sentais plus à ma place dans ce monde. Je n'étais plus rien. Je n'étais qu'une ombre, un monstre.
Depuis ma sortie de l'hôpital, j'évitais tout rapport avec les gens. J'avais peur de les blesser involontairement. J'avais perdu le contrôle de moi-même depuis bien longtemps pour me rapprocher d'eux comme si de rien était. Comme à mon habitude, j'étais la première dans la classe. Je choisissais toujours la place du fond, un peu en retrait de tous. Je ne sortais rien sur ma table. Je ne faisais qu'assister au cours. Je ne prenais pas le risque de sortir un stylo où même mon ordinateur portable. Tout ce qui se trouvait sur ma table, ce n'était que le manuel du cours en question. Rien de plus, rien de moins.
Je ne faisais pas attention aux autres. Je ne regardais pas qui arrivait en retard ou non. Je restais assise à ma place et me faisais la plus invisible possible. Je voulais disparaître, faire comme si je n'étais pas là. Durant le cours, j'écoutais attentivement tout ce que disait le professeur. J'essayais d'imprimer chacune de ses paroles dans ma tête. Je n'y arrivais pas. Je n'y suis jamais arrivé. J'entendais le bruit de la craie, des stylos sur les feuilles de papier. Et mon pouvoir me revenait en tête. La pendaison de ma meilleure amie me revenait en mémoire. Et j'avais mal. J'avais envie de hurler ma souffrance, mais je ne pouvais pas. Pas pendant le cours. Je n'avais tout simplement plus le droit de craquer. roller coaster
Lorsque je suis arrivée à l’Institut, comme la plupart, je ne contrôlais pas mes pouvoirs. J’étais capable de créer des champs de force dès que quelqu’un s’approchait trop de moi par peur, par méfiance, et mon empathie était hyperactive. La première chose sur laquelle je me suis concentrée, c’est bien cette dernière capacité. Je me trouvais psychologiquement instable à cause de cela, et si j’avais continué à vivre comme cela, j’aurais pu devenir très dangereuse pour mon entourage. Finalement, arriver dans cette étrange école est bel et bien la meilleure chose qui me soit arrivée.
Certes, j’avais réussi à contrôler au mieux mon empathie, au fil du temps. Mais ce n’était malheureusement pas une capacité qui pouvait s’envoler comme cela, que je pouvais garder enfermé au plus profond de moi-même, et je devais vivre avec. Il m’était donc parfois insupportable lorsque je ressentais certains sentiments qu’éprouvaient les gens autour de moi. Et lorsqu’on est entourés de mutants toute la journée, des rejetés de la société parce-que nous étions différents, les ressentis passent par la haine, le dégoût de soi-même, la vengeance mais aussi les extrêmes chagrins, la solitude, et j’en passe. Ces sentiments négatifs mais très forts qui pourrissent la vie. Et lorsqu’on doit supporter toute la souffrance d’une bonne centaine et voir plus en plus de la sienne…
Mais il n’y avait pas que du négatif comme tel dans mes journées bien sûr. Ce n’était pas tous les jours que je croisais ce genre de personne avec des ressentis pareils, ressentis particulièrement éprouvés par les petits nouveaux, étant donné qu’au bout d’un moment, dans cette Institut, on finit par accepter d’être différentes, on finit par accepter ces étranges capacités, notre apparence parfois divergente de celle des autres ; on finit par accepter le passé, on finit par s’intégrer. Mais ceux qui viennent directement du monde où l’on rejette, où l’on a peur de ce que l’on ne connaît pas et en soit, dans ce cas-là, nous, les mutants, sont encore en plein dans ces sentiments.
C’est pour cela que cette jeune fille, cette blondinette de la place voisine à la mienne, m’intriguait fortement. Comment pouvait-on avoir mal à ce point-là ? Et pourtant, j’en avais ressentis des vertes et des pas mûres, c’est pour dire ! Et je voulais savoir, je devais savoir. Fronçant les sourcils et perdant le fil des explications du professeur, je ne pouvais m’empêcher de la fixer. Et je perdis la notion du temps, jusqu’à ce que la fin du cours fût annoncée. Jetant un œil à la pendule située juste au-dessus du tableau d’un vert foncé, je devinais rapidement que l’heure en était à la pause du midi.
Rejetant ma chaise en arrière, je me relevais et jetais le peu d’affaires que j’avais sorties au fin fond de mon sac et, balançant ce dernier sur mon épaule, je m’approchais de cette étrange élève, bien trop intriguée par elle et de cette douleur que j’avais ressentie lorsque je m’étais concentrée sur ses sentiments pour ressentir la moindre chose de la part d’une autre personne présente dans cette salle, ou même pour sentir les coups que je recevais lorsque je m’interposais sur le chemin des autres étudiants qui me percutaient en voulant passer. « Hey, toi. » Dis-je tout simplement pour attirer son attention. « Pourquoi ? » Commençais-je. La pauvre ne devait sûrement pas comprendre. L’air sérieux, et les sourcils froncés, je continuais. « Pourquoi as-tu aussi mal ? » Lui demandais-je sans tourner autour du pot.
La solitude était devenue mon amie. Je n'étais plus rien à part brisée. Je n'étais plus que l'ombre de moi-même. J'évitais tous les autres, craignant de les blesser à leur tour. Je ne voulais plus jamais blesser quelqu'un, ni même le tuer sans le vouloir. Je tolérais autour de moi un nombre restreint de personne. Parfois, je me demandais si, un jour, tout pourrait redevenir comme avant. J'avais oublié comment rire de joie, de pleurer de joie. J'avais oublié de vivre depuis un long moment maintenant.
Lorsque je regardais les autres rires ensemble, un vide s'installait en moi. Elle n'était plus là pour le remonter le moral comme elle le faisait autre fois. Lorsque je regardais les autres, rien que le fait de les voir parler ensemble me rappelait que cela m'était interdit à présent. Je devais surveiller chacune des choses que je pouvais écrire, que je pouvais dire. On m'a souvent dit que la plume était plus forte que l'épée. C'était vrai dans mon cas. Les mots peuvent blesser. Les miens étaient pires qu'une simple petite blessure au fond de soit. Ils avaient une influence sur la vie des autres. Et c'était toujours négatif. Toujours.
La fin du cours arriva. J'avais fini par décrocher et je savais qu'il me manquait une bonne partie du cours en mémoire. Mais ça n'avait aucune importance. Je savais déjà que je ne réussirais pas mon année, ni même les suivantes. Il n'y avait plus rien à tirer de moi. Le Monstre, comme les anciens de mon lycée m'appelaient, était fait pour rester seul et échouer à chaque chose qu'il pouvait entreprendre. C'était mon destin d'échouer, de perdre. Tout ça à cause d'une fichue mutation. Et je ne savais même pas d'où elle venait.
Je me demandais parfois si mes parents se disaient si je n'étais pas qu'une simple erreur de fabrication. S'ils se demandaient comment serait leur vie sans moi. J'étais un poids qui pesait en plus sur les épaules de ma mère. Elle qui devait déjà assumer mon père violent, elle devait maintenant assumer sa fille, le Monstre. J'aurais pu choisir ce nom de code lorsqu'on me le demanda. Mais, pour toute réponse, j'ai donné celui d'Hanged. La plupart des personnes ne connaissaient pas pourquoi ce choix. Pour moi, c'était le seul moyen de me rappeler pourquoi on m'appelait le Monstre, pourquoi je me sentais si seule, pourquoi ma meilleure amie était morte.
Je me dépêchais de ranger mes affaires. Je voulais être sure d'être légèrement seule pour manger pour ensuite m'isoler dans ma chambre avant la reprise des cours. J'avais l'habitude de ce scénario et les autres me laissaient généralement tranquille, seule. Ils en avaient certainement pris l'habitude. Mais, cette fois, on m'interpella. Qu'est-ce qu'elle me voulait, je ne savais pas et ça question me laissa complètement dans le flou. Pouvait-elle lire les émotions ? Je ne savais pas. Et, d'une certaine manière, je ne voulais pas le savoir.
« Je... Je suis désolée. Je ne vois pas de quoi tu parles. »
Sans plus attendre, je baissais la tête et repris mon chemin. C'était la première fois que cette situation arrivait et je ne savais pas comment réagir. Je portais la main sur ma poitrine, la resserrant au niveau de mon cœur. Avait-elle compris ? Pouvait-elle ressentir la douleur que je ressentais si souvent ? roller coaster
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